Entre juristes et artistes

Après la défaite de 1870 et une faillite, comment un simple notaire alsacien est-il devenu le fondateur d’une des plus prestigieuses manufactures de verre au monde ?

Face à l’avancée prussienne, Maître Jean Daum, jusque-là à la tête d’une étude prospère dans sa ville natale de Bitche, choisit le camp français et émigre à Nancy où l’art de la verrerie se développe depuis quelques années. L’homme de 45 ans, rompu aux affaires, investit dans la start-up « La verrerie de Nancy » qui fait malheureusement faillite en 1878. Lâché par ses associés et désormais seul maître à bord d’une entreprise moribonde, il appelle son fils aîné Augustin – qui se destine à une carrière de magistrat ! – à la rescousse. Après la mort du patriarche en 1885, Augustin parvient à redresser la barre de la manufacture alors même qu’il ignore tout, au moins au début, des techniques ancestrales de cuisson et de soufflage du verre. Son secret ? Commercialiser tout d’abord des pièces ordinaires et classiques mais d’une qualité d’exécution absolument parfaite.

À partir de 1890, grâce notamment à Antonin, benjamin de la fratrie, Daum connaît un nouvel essor. Le jeune homme de 26 ans enrichit le répertoire de formes et explore de nouvelles techniques qui annoncent l’Art Nouveau et cette âme du mouvement qui le caractérise tant. Daum participe à sa première exposition universelle à Chicago en 1893. Mais la consécration a lieu à Paris en 1900, avec l’obtention d’un Grand Prix. Un an plus tard, Émile Gallé crée l’École de Nancy, avec Louis Majorelle et Antonin Daum comme deux vice-présidents. L’objectif de ces trois grands noms de la verrerie est de faire rayonner la Lorraine et de «favoriser la renaissance et le développement des métiers d’art». Bonne pioche !

Après la grande guerre, place à la troisième génération de la famille Daum avec l’arrivée de Paul qui renouvelle sensiblement l’esthétique de la marque en adoptant des formes géométriques et des motifs stylisés ou abstraits. L’Art Nouveau est mort, vive l’Art Déco ! À l’Exposition internationale des Arts Décoratifs de 1925, les luminaires et vases de Daum côtoient les meubles de Ruhlmann et les tableaux de Jean Dupas, leur apportant une lumière douce et enveloppante d’une rare élégance. Ce succès éclatant est vite confirmé par une commande exceptionnelle de plus de 80 000 pièces pour le paquebot Normandie, vaisseau amiral du luxe et du goût français. Là encore, Daum navigue au côté de Dupas et de Ruhlmann, également de l’aventure. Preuve, s’il en était encore besoin, de l’importance de la manufacture lorraine dans l’histoire de l’art du XXe siècle.

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