Le Point annonce la vente de notre manuscrit : « Alexandre Dumas : sur les traces de sa route de Varennes »

Samedi, la maison FauveParis proposera aux enchères la première version autographe de «La Route de Varennes», datée de 1856 et retrouvée récemment à Athènes.

Par Arthur Frydman

Au mois de juin 1791, le roi Louis XVI et ses proches quittent les Tuileries – où la famille était captive sous la surveillance du général de La Fayette – pour Montmédy. L’objectif de cette fuite consiste à rejoindre la Belgique – à l’époque en territoire autrichien – afin d’obtenir la protection de la famille de Marie-Antoinette, épouse du roi. À la suite de diverses erreurs grossières des fuyards – comme ne pas voyager séparément ou s’équiper d’un attelage discret –, l’épopée avortera et Louis XVI sera arrêté dans la petite ville de Varennes. « Cet événement, baptisé “fuite de Varennes”, fut, pour Alexandre Dumas, l’épisode le plus important de l’Histoire de France, qui mit notamment bas à des années de monarchie », pointe Dimitri Joannidès, expert et associé de la maison de ventes FauveParis.

« La fuite de Varennes est l’événement le plus considérable, non seulement de la Révolution française, mais de l’histoire de France. C’est le point culminant de la royauté, elle a mis 704 ans à monter jusqu’à Varennes. Elle ne met que 19 mois à descendre de Varennes à la place de la Révolution. En mettant le pied sur la première marche de l’escalier de l’épicier Sauce, Louis XVI mettait le pied sur le premier degré de son échafaud », peut-on lire sur les fameux feuillets bleus, au début des trois pages d’introduction du manuscrit autographe d’Alexandre Dumas. Ce dernier sera proposé aux enchères samedi à 14 heures entre 60 000 et 80 000 euros. « Une estimation saine et prudente pour un marché qui sort d’une tempête après le scandale Aristophil et la perte de confiance de certains acheteurs », ajoute Dimitri Joannidès, qui indique également être en discussion avec une université américaine, potentiellement intéressée tandis que la Bibliothèque nationale de France ne s’est pas encore manifestée pour une éventuelle préemption. Affaire à suivre…

« Alexandre Dumas se mue en reporter »

« Nous connaissons beaucoup de choses de Dumas, l’écrivain français le plus lu au XIXe siècle, devant Victor Hugo. Et sous le marteau, de nombreux manuscrits de l’écrivain trouvent preneurs chez les bibliophiles. Mais nous n’avions jamais vu une telle pièce. Quatre-vingt-treize pages manuscrites, de la main unique de Dumas et non par Auguste Maquet, son fidèle collaborateur. C’est un des objets les plus puissants et émouvants que j’aie pu voir passer en vente », insiste le cofondateur de la maison.

C’est lui-même qui, tel un chasseur de manuscrits, retrouve le chemin de La Route de Varennes en août dernier à Athènes. Dans cet ouvrage – daté du 24 juillet 1856 et écrit en trois jours – qu’Alexandre Dumas appelle son « album de voyage », l’auteur refait le chemin de Varennes, pas à pas, sur les traces de Louis XVI. « Alexandre Dumas se mue en reporter à la recherche de la vérité historique et place le lecteur au centre de la grande histoire. Il souhaite corriger les erreurs faites dans le passé et retrouve sur sa route des témoins de première main capables de l’éclairer sur le moindre indice sur la fuite », enchérit Dimitri Joannidès. Des témoins comme des vieillards qui permettent, en effet, à Dumas de refaire l’histoire et qu’il salue à la page 3 de son manuscrit : « Les siècles sont une chaîne de vieillards qui se donnent la main. »

Mais comment un tel ouvrage a-t-il pu se retrouver en terre hellénique, où il a passé plus de 160 ans ? À l’époque où La Route de Varennes est couchée sur papier, la bonne société grecque parle français et il y règne une vraie francophilie. Avant cela, la Révolution grecque (1821-1829) sert de base au mouvement romantique en Europe. « Alexandre Dumas est sensible à cette histoire et à ce contexte », souligne Dimitri Joannidès. C’est donc à Ioannis Philémon – figure locale emblématique du paysage idéologique et politique et celui à qui on doit la touche finale de la Constitution votée par la première Assemblée nationale hellène – que Dumas adresse cette première version en juillet 1856. Il souhaite que Ioannis Philémon, également éditeur de la revue Aion (le siècle en grec) – un journal « tiré à deux cent vingt mille exemplaires, ce qui suppose un million de lecteurs », comme Dumas le dit dans son introduction –, le publie en feuilleton. Une thèse corroborée par le fait que Dumas qui menait un train de vie de flambeur était tenaillé par ses créanciers et cherchait à diversifier ses sources de revenus pour ne pas avoir à les déclarer en France. « En somme, de l’optimisation fiscale prématurée », s’amuse Dimitri Joannidès.

Néanmoins, la publication ne verra jamais le jour. En effet, la guerre de Crimée éclate entre la Turquie et la Russie en 1853 et la revue Aion soutient le roi dans sa politique prorusse, critiquant ainsi les Anglais qui occupent le port du Pirée et les Français qui envoient régulièrement des militaires défiler dans Athènes avec le but d’humilier le roi Othon. Ioannis Philémon décidera alors de publier des articles agressifs, conduisant le commandement français à détruire les locaux du journal ainsi que son imprimerie. L’éditeur démissionnera et transmettra le manuscrit à son fils, Timoléon Philémon, précepteur du roi des Hellènes Goerges Ier et maire d’Athènes en 1887. Ce dernier transmettra par la suite l’ouvrage à sa fille, la princesse Roxana Soutzo, en 1876, qui le gardera et le léguera à ses descendants jusqu’à aujourd’hui. La Route de Varennes sera finalement publié pour la première fois en feuilleton du 28 janvier au 22 avril 1858 dans la revue hebdomadaire d’Alexandre Dumas Le Monte-Cristo.

FauveParis dans Le Point
Retour à la liste des articles