LOT 59
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Jiři Kolář (1914-2002)
Papillons et Femme à lacafetière de Paul Cézanne, 1969
Collage sur papier monogrammé et daté en bas à
droite, signé, daté et annoté au dos
29.5 x 23 cm
Symbole de la métamorphose, le papillon est un élément récurrent de
son œuvre, dès les années 1960. Kolář notamment aime à isoler des morceaux de peintures anciennes en leur donnant la forme de lépidoptères, qu’il épingle comme des trophées, dans une parfaite analogie métonymique avec les vitrines de naturalistes. Dans cette œuvre, Kolář s’est emparé d’une œuvre de Paul Cézanne, Femme à la cafetière, peinte vers 1895 et conservée aujourd’hui au Musée d’Orsay, dans laquelle
la spécialiste Françoise Cachin voyait une icône monumentale de la vie simple.
Si la disposition des formes lépidoptériques adopte
la composition traditionnelle des collections scientifiques, elle respecte aussi les proportions originales du tableau de Cézanne, de sorte que quatre de ses éléments y sont simplement isolés:
le visage de la modèle (sans doute d’une des employées du Jas de Bouffan, le peintre utilisant peu de modèles professionnels, préférant travailler avec des proches ou des membres de son entourage), la tasse posée à côté de la cafetière (dont seul un minuscule fragment demeure visible), les mains de la modèle, et les plis au niveau de son aisselle, soulignés de blanc.
Cette explosion de la composition cézanienne, résumée à quatre morceaux de peinture épinglés comme des trophées, s’ajoute comme un second outrage au premier, précubiste, opéré par Cézanne lui-même, qui a œuvré par simplification des éléments principaux de la composition, le corps de
la femme, la tasse et la cafetière, qui sont représentés selon une organisation stricte de lignes horizontales et verticales. Cette géométrisation des volumes, ainsi que l’angle de vue de la table, représentée dans une perspective beaucoup plus élevée que celle utilisée pour les objets qui y sont posés, annonce clairement le cubisme, et la fameuse exclamation de Picasso:
“le petit-fils de Cézanne, c’est moi !”
Jiří Kolář, on le sait, était intime de l’écrivain Michel Butor, avec lequel il partageait un goût immodéré pour la citation, pour le monde entier pris comme une source potentielle, vertigineuse comme chez Borges, Butor allant jusqu’à préciser : “Ce qui se passe à l’intérieur de mes livres, ce n’est pas seulement la mise en relation des éléments ou citations que j’ai choisis, mais aussi, par leur intermédiaire, de ce que je n’ai pas choisi, de ce qui reste”.
Dans Décollage immédiat, un des poèmes qu’il a consacrés à son ami collagiste, Michel Butor souligne la légèreté avec laquelle Kolář parvient à élever son art au sommet, et même à percer les portes des aérodromes...:
Pivert migrateur
de Prague à Paris signant à la fois
de toutes ses plumes les murs et les nuages il perce les portes
des aérodromes.
Stéphane Corréard & Hervé Loevenbruck
Provenance
> Collection Reinhilde Hammacher, Bruxelles
> Collection particulière, Paris