LOT 22
4 000 / 6 000 €
Key Hiraga (1936-2000)
Sans titre, 1965
Gouache et encre sur papier signé et daté en bas à droite
41 x 33,5 cm
L’œuvre de Key Hiraga non seulement ne laisse pas indifférent, mais happe littéralement le regard. S’il peut être comparé, par éclats, à d’autres pratiques élaborées simultanément à Paris dans le milieu des années 1960 (songeons aux peintures de Maryan ou de Peter Saul, mais aussi aux sculptures de son compatriote Tetsumi Kudo), il n’en demeure pas moins singulier, étrange même, introduisant dans l’art des préoccupations comme le transgenre ou le cyborg plusieurs décennies avant qu’elles n’y occupent une place centrale.
Son auscultation lucide, visionnaire, maniaque et obsessionnelle des corps mutants témoigne du choc nucléaire, à la fois physiologique et civilisationnel, qui a laissé tout le Japon mutique, puis s’épanouit autour de motifs essentiels, qu’une combinatoire addictive lui permet d’interroger à l’infini: la pilosité, le sperme, la croix, la fleur, le maquillage, l’œil, l’oreille... sont autant d›éléments d›identification dont la différence de signification ou d’usage, entre Japon et Occident, lui offre d’exprimer avec vigueur une sépulcrale inquiétude métaphysique, l’incertitude ontologique qui creuse en lui cette béance que la vie terrestre et ses limites échouent à combler.
À étudier l’imagerie grinçante d’Hiraga, les relations homme-femme paraissent pour lui osciller entre l’hystérie mécanique et la frénésie libidinale, éclatant en une stridulante déflagration d’organes, de fleurs, de motifs et d’objets dont les personnages échouent à se protéger, malgré les meubles, parapluies ou condoms qu’ils érigent en écrans.
À cet égard, cette œuvre, idéalement datée de 1970, est un véritable manifeste de son art; d’ailleurs, il a plusieurs fois repris cette scène où un homme, jouet de deux femmes qui l’enserrent, est littéralement tourneboulé, exorbité, écartelé entre elles, un condom sur le nez, un chapeau melon qui s’échappe de son crâne, et une somptueuse rose s’épanouit hors de son méat.
Les jeux combinatoires à l’œuvre dans la peinture d’Hiraga, entre le masculin et le féminin notamment, lui permettent d’élaborer un vocabulaire visuel et thématique particulièrement riche, et sans équivalent dans l’art de cette époque, sauf peut- être souterrainement chez un artiste comme Pierre Molinier. Parfois, une créature dotée de seins porte un chapeau-melon. Beaucoup d’hommes, a contrario, se couvrent le chef d’un sein. Souvent, comme ici, un homme revêt des porte-jarretelles. Dans plusieurs tableaux apparaît un personnage dual, avec une moitié de moustache ; des spermatozoïdes jaillissent d’axopodes sortis d’on ne sait où...
Au tournant des années 1960, Hiraga a inventé un art totalement neuf, grimaçant et agressif, que certains ont qualifié de cyberpunk, décrit par le romancier Bruce Sterling comme “un bouillon de culture où les tortillements des chaînes génétiques s’imbriquent, et dont la gamme chromatique grinçante décuple le pouvoir d’irradiation”.
Stéphane Corréard & Hervé Loevenbruck
Rapport de condition
Encadré



18 Place des Vosges, Paris 4