Quand Virginie Demont-Breton fait pâlir miss Brésil

“« Quand on dit d’une œuvre d’art : ‘C’est de la peinture ou de la sculpture de femme’, on entend par là ‘C’est de la peinture faible ou de la sculpture mièvre’, et quand on a à juger une œuvre sérieuse due au cerveau et à la main d’une femme, on dit : ‘C’est peint ou sculpté comme par un homme’. Cette comparaison de deux expressions convenues suffit à prouver sans qu’il soit nécessaire de la commenter, qu’il y a un parti pris d’avance contre l’art de la femme » Virginie Demont-Breton, « La femme dans l’art » in Revue des revues, XVI, 1 mars 1896, p. 448

Virginie Demont-Breton naît en 1859 près de Lens et grandit dans un environnement artistique favorable puisque son père n’est autre que Jules Breton, l’un des grands noms de la peinture réaliste de la seconde moitié du XIXe siècle. Tout comme lui, Virginie Demont-Breton s’intéresse au monde paysan et à la vie des pêcheur·euse·s, sublimant et idéalisant leur quotidien dans des toiles d’une rare et fine délicatesse. La jeune artiste peintre fait montre d’un talent particulièrement précoce et expose pour la première fois à Paris alors qu’elle n’a que 30 ans. En 1883, elle obtient même une médaille d’or à l’Exposition Universelle d’Amsterdam, s’ouvrant une carrière internationale des plus prometteuses. Quelques années plus tard, Vincent Van Gogh, qui disait avoir voulu devenir peintre en découvrant l’œuvre de Jules Breton, est fasciné par la toile L’Homme est en mer peinte en 1889 par Virginie Demont-Breton… au point d’en réaliser lui-même une copie !

En 1890, au faîte de son art, Virginie et son mari Adrien Demont, peintre également, s’installent à Wissant sur la Côte d’Opale et lancent le Typhonium, un projet architectural pharaonique d’inspiration néo-égyptienne orné de sculptures et de bas-relief. Plusieurs années durant, Virginie Demont-Breton et son époux accueillent des artistes en résidence, donnant ainsi naissance à la célèbre École de Wissant.

Féministe avant l’heure, Virginie Demont-Breton adhère dès 1883 à l’Union des femmes peintres et sculpteurs et en devient présidente de 1895 à 1901, militant ainsi pour la reconnaissance des femmes en tant qu’artistes à part entière. Virginie Demont-Breton présente ces Oiseaux de Mer au Salon des Artistes Français de 1907 et y est acclamée. Conservée depuis plus d’un siècle dans plusieurs collections brésiliennes, cette toile monumentale et spectaculaire n’était plus connue qu’à travers une reproduction en noir et blanc et une étude préparatoire aujourd’hui conservée au Musée de Boulogne-Sur Mer où une rétrospective magistrale consacrée à l’artiste se tient jusqu’au 16 avril prochain.

Lorsque cette œuvre quitte Paris pour le Brésil il y a 111 ans, c’est à une autre histoire de femme pionnière que son destin la lie : celle de Violeta Lima Castro, dite « Bébé », sacrée première Miss Brésil en 1900. Fille d’un éminent professeur de la faculté de médecine de Rio de Janeiro, « Bébé », née à Paris en 1879, mène une double carrière de chanteuse lyrique et d’artiste peintre. Auréolée de son titre de plus belle jeune femme de son pays, damant le pion à la fine fleurs des héritières les plus en vue de l’ancienne colonie portugaise, Violeta Lima Castro devient l’une des figures incontournables de la Belle Époque à Rio de Janeiro, irradiant salons et réceptions mondaines par sa beauté et son érudition. C’est à l’occasion d’un de ses voyages annuels en France que Violeta Lima Castro se passionne pour le travail de Virginie Demont-Breton et achète cette grande toile qu’elle rapporte au Brésil.

Après le décès en 1966 de cette Miss Brésil pas comme les autres, à l’intérieur fortement marqué par le goût européen, une vente aux enchères mémorable est organisée à Rio, durant laquelle ce tableau a été acquis par l’aïeul du collectionneur actuel.

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