Un voyage vers les autres

L’interview du collectionneur :
Marie-Christine Boinet

Propos recueillis par Dimitri Joannidès

Après 10 années passées à la tête de la Galerie Rouge, Marie-Christine Boinet se consacre désormais au développement de son association Teach for hope / Syria – L’école de l’espoir / Syrie à qui le fruit de cette vente sera intégralement reversé.

Quelles spécialités la Galerie Rouge couvrait-elle ?
Essentiellement les arts décoratifs du bassin mésopotamien au sens large, avec quelques ouvertures sur l’Extrême-Orient et en particulier le Viêt-Nam. Dans une vie précédente, j’ai été amenée à beaucoup voyager au Moyen-Orient. À chacun de mes déplacements, je rapportais un meuble, un objet ou un tableau. Puis, après trois ans de chine en Syrie, au Yémen, en Turquie et au Pakistan, j’ai décidé de franchir le pas en ouvrant une galerie rue de Bourgogne à Paris. Cet emplacement n’était pas le fruit du hasard : comme FauveParis, j’ai cherché à sortir des schémas préconçus pour créer un lieu de vie dans un environnement moins attendu. J’aimais l’idée que les passants puissent passer devant la Galerie Rouge par hasard et s’y arrêter par plaisir. L’aventure a duré de 2002 à 2012 puis j’ai regroupé mes collections dans un appartement sur l’île Saint-Louis (où les photographies du magalogue ont été prises, ndlr), ce qui m’a permis de retrouver la liberté du voyageur chineur.

De quand date votre premier séjour en Syrie ?
Du début des années 2000. Le premier voyage a été bien plus compliqué que je ne l’aurais imaginé. J’y ai bien sûr fait de magnifiques rencontres, avec des personnes qui sont depuis devenues des amis. C’est un pays bouleversant, le berceau de notre civilisation, riche de sites archéologiques exceptionnels. Mais il m’a également fallu poser les bases de mes futures relations professionnelles puisque j’y allais pour trouver de beaux objets. Et cela n’a pas été de tout repos ! À l’époque déjà, le système politique était complexe et les étrangers étaient suivis pour tout. Lorsque la révolution a éclaté courant 2011, tout s’est déroulé dans la non violence pendant environ six mois. C’est après que tout a dégénéré. Pour y être allée à plusieurs reprises dans ce court laps de temps, j’ai moi-même constaté d’importants changements : les hélicoptères rasaient les rues tous les vendredis, les villes étaient comme vidées, des miliciens patrouillaient dans les rues… Évidemment, ceux qui pouvaient se le permettre ont fui à l’étranger. Mais la majorité des habitants sont restés sur place, faute d’argent, ou ont trouvé refuge au Liban.

Est-ce de cette période que date votre engagement ?
Au tout début, il ne s’agissait pas encore d’engagement au sens où nous l’entendons communément. Mais j’aidais mes amis restés sur place comme je le pouvais, en communiquant via les réseaux sociaux par exemple. Puis j’ai commencé à m’engager un peu plus sérieusement, en soutenant quelques artistes locaux. Mais c’est en rencontrant Noura Joumblatt qui a créé l’association Kayany au Liban que j’ai eu le déclic. Elle avait, avec quelques amis, lancé cette association au moyen d’une vente aux enchères d’œuvres d’artistes du Moyen-Orient.

Quel est l’objectif de la vente organisée chez FauveParis ?
L’intégralité du produit de cette vente est destiné à financer les frais de scolarité des élèves accueillis dans les écoles créées par Kayany au sein des camps de réfugiés syiens dans la plaine de la Beeka au Liban. Songez qu’il y a aujourd’hui 450 000 enfants non scolarisés qui vivent dans ces campements de fortune. Le désœuvrement, l’insalubrité, la menace Daech… leur sort relève aussi de notre responsabilité.

S’agira-t-il de la première école du genre ?
Il en existe cinq à ce jour, mixtes, plus une pour jeune fille créée par la jeune Prix Nobel de la Paix pakistanaise Malala. La scolarité d’un enfant coûte environ 600 dollars par an. Au-delà des seuls cours, l’école que Teach for hope / Syria – L’école de l’espoir / Syrie va participer à financer permettra aux enfants de disposer d’un point d’eau, de vrais repas, de deux uniformes, de chaussures et d’un sac de classe. Même si les musulmans sont majoritaires dans les camps, nous tenions à ce que les leçons soient dispensées dans des classes entièrement laïques. En scolarisant ces enfants ne serait-ce que quelques heures par jour, nous les aidons à atteindre un niveau qui peut leur permettre d’intégrer des écoles libanaises.

Quels bénéfices tirons-nous concrètement en France d’un engagement comme le vôtre ?
Nous sommes tous légitimes à agir car ces drames se déroulent à quelques heures de vol de chez nous. Certes ma démarche est personnelle. Mais si nous n’agissons pas aujourd’hui, que deviendront ces enfants demain ?
Des soldats enrôlés de force par l’État Islamique, des djihadistes ennemis de l’Occident, des migrants rançonnés qui finiront par échouer sur nos côtes ? L’histoire des réfugiés palestiniens au Liban ou en Jordanie nous a montré que le provisoire tend toujours à durer, malgré toutes les bonnes volontés. Aujourd’hui, le Liban et la Jordanie sont asphyxiés et l’Égypte du maréchal Sissi a fermé ses frontières. Même la Turquie d’Erdogan, pourtant rétive à l’idée de devenir une nouvelle terre d’accueil à grande échelle, s’apprête à construire des camps capables de recevoir 70 000 personnes !

En somme : « ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons » comme l’écrivait Victor Hugo !
Exactement, mais c’est aussi une histoire d’amitié et de sincérité. À mon échelle, je rends un peu de ce que ces personnes si dignes et cultivées m’ont donné jadis.

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