Tapisserie bruxelloise du XVle siècle vs Châteauneuf-du-Pape Télégramme 2011


À chaque vente, notre sommelier (et historien de l’art médiéval !) Thomas Ameline choisit une œuvre de la vente et en fait une lecture en écho à la dégustation d’un vin. Attention, expérience surprenante

L’iconographie de cette tapisserie est mal identifiée. On y distingue un personnage noble, probablement un chevalier, sur un cheval cabré, brandissant un bâton en direction de deux jeunes femmes nobles à l’air apeuré. Sur la droite, deux autres dames et deux personnages masculins, sûrement des valets d’arme, suivent la scène. Sommes-nous devant une scène mythologique, historique ou simplement courtoise ?
Difficile de répondre de façon affirmative tant la tapisserie bruxelloise du XVIe siècle sait allégrement mélanger les genres !

La ressemblance avec deux grandes tentures célèbres conservées au musée du Louvre est frappante. Elle partage avec la tenture des Chasses de Maximilien (Bruxelles, vers 1530) le même type de composition, la même mise en page et le même goût pour des gest es amples et généreux. Ce chevalier au premier plan semble être une répétition du Charles Quint affrontant un sanglier, visible sur une des pièces du Louvre. La leçon des Actes des Apôtres de Raphaël se retrouve sur notre tapisserie comme sur celle des Chasses de Maximilien. L’autre référence évidente est la tenture de L’Histoire de Scipion (Bruxelles, vers 1535), dont les cartons ont été réalisés par Jules Romain, un élève de Raphaël. Elle fait partie de ces manifestes du mouvement maniériste qui naît dans les années 1520 en Italie et qui se diffuse rapidement en Europe. Une certitude : notre tapisserie fait écho au chef-d’œuvre du Louvre. Il suffi t pour s’en convaincre d’admirer cette palette
vive et acidulée, ces physionomies tourmentées aux gestes éloquents et le jeu des musculatures hypertrophiées (observez bien le torse du personnage central).

Quel vin peut donc posséder cette noblesse et ce caractère exotique et opulent que nous retrouvons sur cette tapisserie ? Nos regards se tournent vers des vins du sud de la France, dont la maturité est portée par un soleil généreux. Et plus particulièrement vers Châteauneuf-du-Pape et le domaine du Vieux Télégraphe, un terroir noble. Ce vin sudiste, classique et généreux, est obtenu à partir des jeunes vignes de grenache de ce prestigieux domaine. Présent à hauteur de 80 % dans l’assemblage final, ce cépage confère au vin souplesse, rondeur et puissance aromatique typique des Châteauneufs. Nous y retrouvons toute la puissance des gestes des personnages de la tapisserie, la vivacité et la fraîcheur du paysage ainsi que la générosité des chairs et des coloris. Voici un vin tout en puissance, en noblesse et en caractère acidulé pour affronter une œuvre typique du maniérisme italien sous influence flamande à l’époque de l’âge d’or de la tapisserie bruxelloise !

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