Vous l’ignoriez sûrement mais tout ne va pas comme sur des roulettes pour la table servante de Mathieu Matégot.
Premièrement, mes confrères les fauteuils ont une chance que je leur envie et dont ils ne se rendent pas suffisamment compte : ils peuvent suivre une conversation du début à la fin. Alors que moi, une fois le thé et les petits gâteaux servis au salon, on me renvoie en cuisine aussi sec. Ma vie consiste à être partout et nulle part à la fois et, au bout du compte, je ne connais que des débuts d’histoire, d’anecdotes et de confidences. Quel drame… Et côté cuisines, ce n’est pas mieux : lorsque les domestiques blaguent entre eux, on m’envoie au service pile avant la chute !
Secundo, je n’ai jamais connu la fièvre de ces moments de détente où les langues se délient. Alors que ma consœur la cave à liqueurs, elle, assiste aux délires des buveurs avec délice et indiscrétion, je ne connais que des instants de sociabilité convenus et sans fantaisie. Cela me désole… Alors moi aussi, seule dans mon coin, je me raconte des histoires, mais des histoires sans fin.
Ensuite, on n’imagine pas assez le calvaire d’être la Formule 1 des enfants. À mes heures de repos, on me chevauche, on me fait tournoyer et on me pousse comme une trottinette dans les couloirs à vitesse grand V. Un miracle que je n’aie aucune éraflure et que je ne sois pas plus claudicante.
Enfin, si vous faisiez preuve d’un minimum d’empathie, vous ne me laisseriez pas ainsi la nuit dans le froid, coincée contre le mur du couloir, entre la cuisine et la salle à manger. Le mixeur a droit à la chaleur des fourneaux qui s’endorment doucement dans la nuit noire, les tables basses aux braises mourant à petits feux après une soirée animée. Quand la maisonnée plonge dans un sommeil réparateur, ma peur du noir renaît au son des poutres qui craquent et des hululements qui me crispent d’effroi.
Puissiez-vous ne plus jamais me regarder de la même manière désormais !