Celui chez qui André Breton décelait « l’art du trappeur supérieur » revendiquait une communion avec les puissances telluriques, en écho aux forêts sauvages de son Canada natal.
Dans cette œuvre capitale de 1956 (datée «1953» de façon erronée par Christie’s dans le catalogue de son exposition Un Art autre – artistes autour de Michel Tapié, une exposition en 2012), Riopelle rappelle qu’il n’est pas homme à peindre à tête reposée. Bien au contraire, le peintre se jette à corps perdu dans l’acte de création, redoutant les courtes interruptions capables de stopper cet étrange processus. En effet, comme le précise le critique Pierre Schneider dans L’Œil en juin de la même année, l’artiste peint «dans un état voisin de l’extase ». Guy Robert, dans l’ouvrage de référence qu’il consacre à Riopelle (Chasseur d’image, Éditions France-Amérique, Montréal, 1981), le décrit quant à lui comme un être volcanique viscéralement attaché à son travail où « les taches de couleurs traduisent la vitesse du mouvement de la main et du pinceau, sur des fonds rapidement brossés, traversés d’éclaboussures et de dégoulinades ».
Installé depuis peu dans son atelier de Vanves, dont les dimensions conviennent parfaitement aux grands formats, Riopelle dispose désormais d’une immense palette faite d’un panneau de bois de 122 x 244 cm. Tout autour, tubes vides, pinceaux, spatules et livres d’art s’amoncellent. Début 1956, il se lance dans la création d’une série de grandes gouaches inspirées de la mythologie Gitksan, un peuple indigène à tradition matriarcale vivant le long de la rivière Skeena, sur la côte ouest canadienne. Cette brève période où Riopelle délaisse un temps l’huile au profit de la gouache est capitale. Elle constitue en effet une charnière entre les deux grandes tendances stylistiques qu’il explore dans les années 1950. Lorsqu’il reprend les spatules quelques mois plus tard, le geste de Riopelle est comme rajeuni, rafraîchi.
Si cette œuvre est exceptionnelle par son format, elle l’est aussi par la pureté et la clarté du message plastique qu’elle véhicule. Riopelle, peintre de l’instinct et de la spontanéité, y apporte la vision inédite d’une intelligence primitive en plein âge d’or de l’abstraction de la Seconde École de Paris. Cette même touche impulsive et inédite qui faisait dire à Pierre Loeb, en 1953, que Riopelle semblait « appelé à réaliser la synthèse totale du monde »…