«Voyez l’ours blanc des pôles, le requin blanc des tropiques, leur horreur transcendante ne vient-elle pas de leur douce blancheur neigeuse ? »
H. Melville, Moby Dick
Des fresques pariétales néolithiques aux monochromes du XXe siècle, les artistes vous diront qu’au commencement était le blanc. Vraiment? Jusqu’à la fin du Moyen-Âge, le blanc est une couleur comme les autres. Mais la généralisation de l’imprimerie à partir du XVe siècle change sensiblement la donne en assimilant le blanc – feuille blanche oblige ! – à l’absence de couleur. Alors qu’auparavant, ce qui préexistait à l’œuvre d’art était tout simplement la teinte naturelle d’un support, qu’il soit boisé, écru ou gris.
Dans l’iconographie religieuse occidentale, le blanc, parfois mêlé à l’or, est l’image de la lumière divine intouchable et pure, à l’image de ses anges messagers et de la colombe du Saint-Esprit métamorphosée en symbole de paix par Picasso en 1949. Au XIXe siècle, le dogme de l’Immaculée Conception fait blanchir jusqu’aux étoles de la Vierge Marie, pourtant historiquement vêtue de bleu. Est-ce un hasard si, à la même époque, le blanc devient la couleur attitrée des robes de mariée, signe de pureté et de virginité ? Mais le mythe grec d’Eros et Thanatos nous apprend que la mort n’est jamais éloignée de l’amour, à l’image de ces blancheurs excessives des chambres de moribonds où errent déjà les fantômes de l’au-delà… Sans ombre, pas de lumière et sans noir, pas de blanc.
En 1918, à l’heure où la si fragile paix universelle semble triompher, le suprématiste Malevitch ose un Carré blanc sur fond blanc, ouvrant ainsi un siècle d’expérimentations monochromes autour du blanc. Uniforme chez le peintre russe, en camaïeu chez Charchoune ou en relief chez Fontana, la porte s’ouvre enfin aux monochromes de toute sorte, rouges chez Rothko, noirs chez Soulages. Au commencement était le blanc, vraiment.