L’interview de l’expert : Pierre Ansas, l’Asie majeure

Notre expert en art chinois Pierre Ansas évoque pour FauveParis (sa maison de ventes préférée, mais chut  !) les tribulations extraordinaires et passionnées d’un chineur en Chine !

Comment êtes-vous tombé dans le bain de l’art asiatique ?
Rien ne m’y prédestinait mais j’ai toujours été fasciné par l’Asie en général et par la Chine en particulier. En parallèle à mes études de philosophie, je me suis essayé à l’achat d’objets asiatiques. J’ai vite eu beaucoup de chance dans mes trouvailles et me suis tant et si bien pris au jeu qu’à l’âge de 21 ans, j’ai pu m’offrir un billet pour Hong-Kong grâce à la revente d’un objet à très bon prix. Ce premier voyage remonte à octobre 1975. Sur place, j’ai déniché quelques objets que j’ai rapportés et vendus aux enchères à Paris.

D’où l’idée de devenir expert ?
À l’époque, trois spécialistes parisiens faisaient référence pour l’art asiatique : Michel Beurdeley, Guy Portier et Jean-Claude Moreau-Gobard dont j’ai poussé la porte du cabinet du 5 rue des Saints-Pères. La rencontre s’est faite notamment grâce à l’intervention d’une conservatrice du Musée Labit de Toulouse qui m’a recommandé auprès de lui ; j’avais 22 ans. Ce grand expert, qui allait devenir mon mentor pour plusieurs années, m’a donné de précieux conseils, à commencer par celui d’aller parfaire mes connaissances à Londres, alors place incontournable dans notre spécialité. J’ai commencé à y apprendre le thaï, ce qui m’a permis d’intégrer l’université des Beaux-Arts de Bangkok où je suis resté un an. C’est là, plongé au cœur de la culture asiatique, que j’ai véritablement tout appris de l’art du bouddhisme. Pour autant, je n’avais nullement cessé ma collaboration avec Moreau-Gobard.

Quand a donc eu lieu l’appel de la Chine ?
Après mon année à Bangkok, je me suis rendu une première fois en Chine continentale avant de m’installer 6 ans à Hong-Kong à la fin des années 1970. Je me suis alors investi pleinement dans le commerce de l’art chinois, en lien avec des marchands et des collectionneurs européens mais également avec des décorateurs du Moyen-Orient. Cet apprentissage au plus près des objets a convaincu Moreau-Godard de me proposer de rejoindre son cabinet en 1986. J’ai commencé comme collaborateur avant d’être associé puis de devenir son successeur. C’est ainsi qu’est né le cabinet Papillon-Ansas.

Comment vous répartissez-vous les tâches avec Anne Papillon d’Alton ?
Anne, que j’ai connue au cabinet Moreau-Godard, s’occupe plus spécifiquement des arts du Japon et moi de la Chine. Mais nous travaillons de conserve sur les arts de l’Inde, du Tibet et du Sud-Est asiatique car il est toujours bénéfique de pouvoir confronter les points de vue. Pour les disciplines très pointues, notre cabinet fait appel à un solide réseau de spécialistes, en Asie notamment. Anne, à elle seule, travaille avec trois correspondants qui la secondent efficacement : un pour les armes, un pour les netsuke et un autre pour les estampes. Bien obligé, car affirmer être « expert en arts asiatiques » serait aussi fou que de se dire expert de l’art occidental de la préhistoire au XXe siècle ! L’art chinois, ce sont aussi bien des bronzes que des objets de Haute Époque, de la céramique, des peintures… Pour l’art chinois, qui reste le département le plus porteur du cabinet, nous enrichissons depuis plusieurs années une importante base de données « maison » qui nous permet d’effectuer des recherches très précises, quelle que soit la discipline en question.

Où trouver de belles pièces aujourd’hui ?
Il reste heureusement beaucoup de trésors à découvrir en Europe ! La sélection d’objets chinois que nous présentons aujourd’hui chez FauveParis en est la preuve : on découvre encore de très belles pièces conservées dans les mêmes familles depuis trois ou quatre générations. Pour l’essentiel, ce sont des objets arrivés en Occident au tournant des années 1900, au retour de voyages ou de campagnes. Il ne faut pas non plus négliger la place de tout premier plan qu’a occupé Paris sur le marché de l’art asiatique entre 1900 et 1960 : des collections de qualité se sont aussi constituées grâce aux à la clairvoyance de grands marchands.

En quoi la boîte d’époque Wanli que nous présentons est-elle si exceptionnelle ?
Cette boîte a été réalisée sous l’ère Ming (1368-1644), la meilleure période possible en terme de qualité d’exécution. Et c’est sous le règne de Wanli (1572-1620), treizième empereur de la dynastie, que toute la très belle porcelaine – et la blanc-bleu pour commencer – est arrivée en Europe. Soit par les caravaniers, via la célèbre route de la Soie, soit par voie fluviale. Cette boîte est donc l’un des tous premiers témoignages de la fascination des Européens pour la porcelaine chinoise. Car il ne faut pas oublier que si, en Chine, l’art de la porcelaine existe depuis l’an 1000, l’Europe du XVIe siècle vit encore sous le règne de la faïence. La pureté des émaux, la sonorité ou la brillance du bleu de cobalt de ces objets venus du bout du monde leur conféraient une très grande valeur. Compte tenu du coût exorbitant de la porcelaine chinoise pour l’époque, des manufactures européennes ont cherché à faire aussi bien et à créer elles aussi des porcelaines, celles de Delft étant les plus connues. Les Chinois n’ont donc pas été les premiers à copier !

Qui sont les acheteurs désormais ?
Les pièces majeures repartent en Asie car les amateurs européens se trouvent en concurrence avec des acheteurs au pouvoir d’achat nettement supérieur. Il est aujourd’hui très rare de voir un collectionneur français mettre plus de 10 000 euro dans un objet d’art asiatique. Dites-vous bien que pour un acheteur européen, il y a au moins 1 000 Chinois en face ! En revanche, il faut s’intéresser de près à l’art japonais qui, après une traversée du désert d’environ 15 ans, suscite un vif regain d’intérêt. En matière d’art asiatique, chaque pays a sa spécificité : les Portugais lorgnent sur des objets de la compagnie des Indes, les Anglais ne jurent que par les porcelaines bleu-blanc et les cloisonnés et les Hollandais, du fait de leur histoire coloniale, sont passionnés par la statuaire du Sud-Est asiatique. Quant aux Français, ils se focalisent surtout sur la peinture moderne et contemporaine chinoise. Je leur donne rendez-vous le 9 juin chez FauveParis pour nous prouver le contraire !

Lot 41 page 34

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