L’interview d’Antoine Tarantino, expert en archéologie méditerranéenne – « Par-delà les siècles »

Que couvre précisément votre domaine d’expertise ?
Tout le bassin méditerranéen : de la Grèce à l’Étrurie en passant par l’Égypte, le Proche-Orient et la Mésopotamie. J’ai été formé par Jean-Philippe Mariaud de Serres, l’un des principaux experts en archéologie de ces quarante dernières années. Lorsqu’il s’est lancé, dans les années 1970, le marché était encore très confidentiel. Lui-même avait été sensibilisé à cette discipline par son père, un grand amateur dont certaines pièces de la collection ont été acquises par le Louvre. Depuis, l’archéologie revient à la mode, peut-être parce que, inconsciemment, nous cherchons tous un peu nos racines. De surcroît, comme il s’agit d’objets aux formes simples et intemporelles, les collectionneurs les marient fort bien avec l’art primitif par exemple, qui constitue lui aussi un retour aux fondamentaux esthétiques.

La réglementation est-elle complexe ?
En tant qu’expert, je me dois d’être extrêmement rigoureux car, nous acteurs du marché, devons, tout en nous prémunissant, protéger l’archéologie elle-même en refusant les objets qui proviendraient de pillages. Malgré les guerres récentes, en Irak ou en Lybie, la France n’est heureusement pas une plaque tournante du trafic. À titre personnel, je n’ai pas vu pour l’instant apparaître d’objets sur le marché suite aux événements politiques qui ont ébranlé le monde arabe. Quant aux pièces italiennes ou grecques, il faut de toute manière les examiner avec attention et prudence au regard des conventions internationales. Par exemple, je refuse tous les objets qui auraient été exportés illégalement hors de leur pays d’origine après la Convention de l’Unesco de 1970 et que ces pays pourraient légitimement réclamer.

Que regardez-vous en premier sur un objet ?
Tout d’abord son authenticité. Puis ses qualités intrinsèques, tant du point de vue de sa réalisation technique que de son esthétique. C’est ce qui me permet de comprendre s’il s’agit d’un bel objet rare ou issu d’une production courante. Je m’intéresse ensuite au critère de rareté de la pièce que j’ai entre les mains, ainsi qu’à son état de conservation. Il peut en effet y avoir des restaurations difficiles à détecter à l’oeil nu. Il est complexe de nettoyer un objet sur lequel la patine des siècles a fait son oeuvre. Avec l’expérience, j’ai aussi acquis des réflexes : par exemple je sais que les parties saillantes d’un marbre (le nez, les oreilles…) sont fragiles et qu’il n’est pas rare qu’elles soient restaurées. Enfin, je me renseigne toujours sur la provenance de l’objet.

Avez-vous des outils particuliers pour faire une expertise ?
Les meilleurs outils de l’expert sont son oeil, sa connaissance des techniques, sa mémoire et sa documentation. Lorsque je dois aller plus loin, j’utilise une loupe binoculaire – comme celle que vous pouvez voir dans les laboratoires – qui est moins forte qu’un microscope mais qui a le grand avantage de me permettre de repérer les traces d’outils, de polychromie, les restaurations, de dépôts, etc. Une simple épingle peut aussi m’aider à en savoir beaucoup, notamment pour distinguer la cire employée pour restaurer un bronze ou une intaille ou encore le plâtre sur un marbre restauré.

Existe-t-il un profil type de collectionneurs d’archéologie ?
Non, les amateurs ont des profils très divers. Il peut s’agit aussi bien du médecin qui a appris le grec et le latin pendant ses études que du collectionneur d’art contemporain plus classique. Dans les intérieurs d’aujourd’hui, il n’est pas rare de voir une belle pièce d’archéologie côtoyer un masque africain ou un tableau du XVIIe siècle. Les collectionneurs de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe siècle étaient plus cohérents dans leurs choix : ils suivaient une ligne et constituaient une collection. Désormais, les amateurs sont plus touche-à-tout, même s’il existe évidemment des acheteurs réguliers et cohérents dans leurs choix.

Les collectionneurs ont-ils généralement un lien personnel avec l’origine géographique d’un objet ? 
Pas forcément. Par exemple, beaucoup d’Américains, d’Allemands et de Suisses achètent des objets grecs ou romains alors même que, en tant qu’expert, je ne croise quasiment jamais d’amateurs hellènes d’archéologie grecque. Peut-être l’aspect patrimonial les effraient-ils, comme les Italiens vis-à-vis des pièces datant de l’Empire romain ? Dans certains cas, ils doivent en effet déclarer leurs collections à l’État, ce qui constitue assurément un frein.

En quoi la tête romaine que nous présentons aujourd’hui est-elle particulièrement intéressante ?
D’abord par la grande qualité de la sculpture. Nous avons là une réalisation d’une très grande sensibilité, en particulier dans le traitement des carnations et de la chevelure. Il ne s’agit pas d’une impératrice, c’est un portrait civil, et pourtant cette tête est de très haute qualité. D’une manière générale, peu de sculptures romaines nous sont parvenues en aussi bon état. Le fait que les pupilles ne soient pas incisées et la présence de cette tresse constituent autant d’indices pour la situer dans l’époque julio-claudienne ou juste après.

Comment le marché a-t-il évolué ces dernières années ?
Les objets moyens régressent mais la valeur des très belles pièces augmente considérablement. Tout simplement parce qu’elles se raréfient sur le marché, a fortiori lorsque qualité et provenance sont au rendez-vous. Le marché de l’archéologie reste à explorer et, pour des sommes assez modestes au regard des siècles qui nous séparent de ces réalisations, même des trentenaires commencent à s’y intéresser. Mais, à mon grand regret, beaucoup de personnes n’imaginent pas une seule seconde qu’il leur est possible d’acquérir des objets antiques. Et pourtant, ce n’est pas réservé aux musées ! Pour 800 ou 1 000 euros, vous pouvez déjà atteindre quelque chose de très intéressant qui raconte une histoire et vous fera rêver.


J’aime particulièrement l’art grec du IIe millénaire, ainsi que la période classique du Ve siècle avant J.-C., le fameux siècle de Périclès. C’est une période qui me touche car elle me donne l’impression de sentir et de mieux comprendre d’où je viens.

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