Comment êtes-vous devenu expert en jouets ?
Je suis d’abord un généraliste. À l’origine, mon rêve était d’ouvrir un magasin de sièges qui aurait présenté aussi bien des chaises gothiques que des créations de Mallet-Stevens. J’ai expérimenté de nombreux métiers avant de m’intéresser aux jouets. Il faut dire que j’avais déjà goûté au frisson de la chine très jeune. Je me souviens que, quand j’avais 15 ans, j’avais acheté une poupée rarissime 5 francs pour la revendre 150 un peu plus tard. Une petite graine a germé en moi. Puis un ami spécialiste des poupées anciennes m’a proposé de travailler avec lui et c’est ainsi que je suis entré dans la danse ; c’était en 1985.
Y avait-il déjà des collectionneurs ?
En France, non, c’était encore un marché très confidentiel. À l’international en revanche, les Américains et les Japonais ont toujours été très actifs, suivis des Allemands et des Britanniques. Pour ma part, la seule question que je me posais à l’époque était : comment aimerais-je travailler dans 20 ans ? Or, en 1992, j’ai clairement senti que les beaux jouets devenaient rares. J’ai donc décidé de me consacrer entièrement à cette spécialité, en officiant auprès des salles de ventes notamment. J’ai commencé avec Mes Poulain et Le Fur qui travaillaient déjà avec Alain Renard, le plus fin connaisseur des poupées anciennes et des automates à l’époque.
La spécialité existait donc déjà ?
Oui, depuis 1974. C’est Me Jean Lelièvre (père de Me Jean-Pierre Lelièvre, ndlr) à Chartres qui, le premier, a organisé des ventes de jouets. C’était une idée géniale car c’est en France entre 1860 et 1900 – un véritable âge d’or ! – qu’ont été produites les plus belles pièces. On a tendance à l’oublier mais les Expositions universelles qui se sont tenues à Paris au XIXe siècle ont permis à la France de clairement se démarquer d’un point de vue technique. Et le jouet n’était pas en reste ! Bref, chez Poulain-Le Fur, nous proposions des ventes plurielles avec des spécialités bien définies comme les poupées anciennes, les jouets en tôle et mécaniques, les automates, les mignonnettes (poupées miniatures du XIXe siècle, ndlr), les poupées d’artistes, etc.
Pourquoi les acheteurs français ont-ils tant traîné sur ce marché ?
C’est d’abord une question culturelle. En France, pendant longtemps, on a limité le jouet à son aspect ludique. Il n’était pas pris au sérieux. Alors qu’aux États-Unis, qui importaient déjà des jouets européens avant-guerre, la relation à l’enfance est différente ; elle relève quasiment du culte. Je me souviens, quand j’étais jeune, d’un marchand qui travaillait exclusivement pour des clients américains. Il arrivait aux puces avec un sac vide le matin et, le soir, il repartait avec trois sacs remplis de poupées anciennes ! Sans les initiatives de certains commissaires-priseurs pionniers, les gens auraient continué à garder ces trésors chez eux sans que personne ne s’y intéresse vraiment.
À quand remontent les premiers jouets ?
Avant de parler de datation, il est intéressant de constater que le jouet, en premier lieu, est destiné aux garçons. Par exemple, les premières voitures destinées à divertir les enfants sont tout à fait contemporaines des voitures à vapeur du dernier quart du XIXe siècle. C’est une histoire connue mais, chez Bugatti, quand un papa achetait un bolide, son fils avait à sa disposition le même modèle mais électrique et adapté à sa taille. C’est la même chose pour les trains qui sortaient en plusieurs modèles : de parquet (qu’on tire avec un fil sur le sol, ndlr), mécanique, à vapeur vive ou électrique. Pour l’anecdote, notez que les premiers trains électriques se branchaient sur 110 volts avec un transformateur à forte puissance : je vous laisse imaginer le nombre d’accidents qui ont pu avoir lieu ! Il en était de même pour les trains à vapeur vive, tout aussi dangereux.Je me souviens d’un vieux monsieur de 80 ans qui, un jour, m’appelle pour me confier un vieux train électrique qu’il avait reçu en cadeau, petit garçon. Comme je m’émerveillais devant l’état de conservation quasi parfait de cette merveille, le grand enfant qu’il était resté m’a précisé qu’il n’avait la possibilité d’y jouer que les premiers janvier entre 15h et 16h. Il n’a pas précisé si cela avait duré à l’âge adulte !
Vous parliez d’âge d’or des jouets. N’y en a-t-il eu qu’un seul ?
ll y a eu trois moments clés : avant 1900, entre 1900 et 1914 et entre 1920 et 1950. Les jouets de ces périodes sont passés dans la catégorie des objets de collection parce qu’ils ont été manufacturés, vendus dans des grands magasins, etc. Si le jouet est trop ancien, trop artisanal, on tombe dans la catégorie des arts populaires. Il y a même des collectionneurs qui cherchent un double étiquette : celle du fabricant (Dessein, FVDS, Marklin, Charles Rossignol, JEP …) et celle du distributeur (Le Bon Marché, Le Nain Bleu…).
Y aurait-il eu une disgrâce du jouet entre 1914 à 1920 ?
Non car la colonisation et les différentes guerres ont justifié le développement d’un autre type de jeu pour garçons : le soldat de plomb. Il est apparu sous Napoléon III grâce à la maison Alphonse Giroux à Paris, pour faire l’éducation des enfants. Dans les premiers temps, le soldat figurine n’était pas toujours en plomb. Il y a eu de l’étain, du plâtre et farine ou encore de la sciure compressée. Le plus amusant est qu’on les fabriquait aussi en Allemagne, y compris pour le marché français. Il faut donc imaginer qu’en pleine guerre de 1870 ou 1914, des usines allemandes fabriquaient des soldats avec lesquels jouaient tant les petits Français que les petits Allemands ! Après la seconde guerre mondiale, on a continué à en fabriquer de bon marché, en plomb creux ou en quiralu (contraction de Quirain, fabricant de figurines en 1935, et du mot aluminium).
Après la seconde guerre mondiale, quelle tendance s’est développée ?
Les années 1950 ont vu apparaître les premiers jouets intelligents qui fonctionnent à pile, avec cerveaux, logiciels, etc. Les premiers films de science-fiction hollywoodiens ont beaucoup aidé au développement de masse des jouets cybernétiques des années 1960 par exemple. Le Japon, qui devait se reconstruire, s’est lancé dans la fabrication de jouets bon marché. Au fil des décennies, le pays du soleil levant a pris un net leadership, suivi par la Corée puis par la Chine à la fin des années 1970. Quoi qu’il en soit, les robots les plus recherchés aujourd’hui sont les japonais qui datent des années 1950-1960. Avec tout ce savoir-faire accumulé, pas étonnant que le pays ait été le pionnier des jeux vidéos quelques décennies plus tard.
Quel est le profil du collectionneur d’aujourd’hui ?
Pour les jouets d’avant-guerre, le collectionneur type est plutôt un homme dans la force de l’âge. Les femmes s’intéressent plutôt aux poupées, même si je remarque que ce sont des hommes qui s’arrachent les poupées les plus chères. Avec les robots en revanche, on s’adresse aussi à des gens plus jeunes, qui se laissent séduire par des formes futuristes très stylisées.
Et le plus marquant dans la collection présentée aujourd’hui ?
Les collectionneurs qui parviennent à marier quantité et qualité sont rares et c’est ce qui m’a le plus impressionné avec cet ensemble. Et le plus beau, c’est que ces 250 jouets vont revivre chez 50, 100 ou 150 autres amateurs qui les aimeront et les transmettront à leur tour.