Histoire d’une collection – la tête dans les étoiles

C’est l’histoire d’un collectionneur pas comme les autres. Un amateur de photographies d’art qui cultive une vive passion pour l’espace. À la fin des années 90, au gré de ses voyages aux États-Unis, il constitue une étonnante collection de clichés glanés auprès d’anciens employés de la NASA et au fil des ventes aux enchères en Floride et au Texas. Si ses choix se veulent plus esthétiques que techniques, ils retracent toutefois avec une grande précision chacune des étapes de la course à l’espace. La prouesse humaine que représente le programme Apollo en serait presque oubliée car désormais rares sont ceux qui perçoivent encore dans ces missions le tournant qu’elles représentent pour l’humanité. En effet, grâce aux photographies prises par ces astronautes, l’homme a pu contempler sa planète pour la toute première fois, isolée et fragile, et prendre conscience de sa place dans l’univers. En ce début de XXIe siècle, il semble que cette révolution métaphysique et ce choc survenus à la fin des années 60, aient été trop vite oubliés.

La fin des vols de la navette américaine et la médiatisation de la fragilité avérée de la Terre ont généré au début des années 2010 un nouvel engouement du public pour cette période marquée par les premiers pas de l’homme dans l’espace. En témoignent des grandes expositions publiques (Palais de Tokyo, A man on the Moon en 2012), des programmations de galeries d’art (comme Daniel Blau à Berlin récemment) ou de grandes ventes internationales de photographies spatiales (Lempertz en 2014 ou Bloomsbury début 2015). Plus que jamais, les amateurs de photographie et d’espace sont touchés par la beauté renversante des ces clichés pris il y a quasiment un demi-siècle.

Le Big Bang d’une passion
C’est un peu cliché, nous direz-vous, mais pour ce collectionneur passionné, tout est parti d’une photo. Prise depuis le module lunaire d’Apollo 13, transformé en radeau de sauvetage après une explosion à bord, on y devine la solitude d’un équipage qui ne sait pas s’il parviendra ou non à rejoindre la Terre [lot 124]. L’image véhicule une émotion rare, palpitante et nous plonge dans l’immensité d’un univers qui nous domine. À l’origine, cette photographie, développée pour un usage interne, n’a pas été publiée par la NASA. Puis d’autres clichés, officiels ou non, ont, petit à petit, croisé sa route. Ainsi est née une passion dévorante pour ces photographies racontant l’incroyable histoire d’un âge d’or perdu: celui de la conquête spatiale (1963-1976).

Une plongée dans le grand bain (révélateur)
Depuis sa création, l’agence spatiale américaine possède un laboratoire photo capable de développer des négatifs et de procéder à des tirages en toute autonomie. Elle n’a pourtant pas perçu immédiatement la force de l’image et n’a formé que tardivement les astronautes à la prise de vue. Si certains de ces clichés sont connus du grand public depuis les années 1960, d’autres n’ont été diffusés que récemment via les archives numériques de la NASA. Redoutables outils de propagande glorifiant les États-Unis et la bannière étoilée, nombre de ces images sont techniquement irréprochables. Certaines sont en revanche d’une maladresse touchante, comme ce lever de Terre sur la Lune où l’on distingue le bas du hublot [lot 58] à la façon d’une photo prise à la va-vite depuis la portière d’une voiture. Ces photos que l’on pourrait qualifier d’amateur figurent paradoxalement parmi les plus célèbres du monde ! C’est dans l’intimité ordinaire de ces hommes extraordinaires que notre collectionneur vous invite à entrer.

L’humanité mise en orbite
La dispersion de cette collection permet aux amateurs d’aventure spatiale de remonter le temps à une époque où les photographies pouvaient être prises par les astronautes eux-mêmes à des distances considérables de notre planète. Désormais, vaisseaux et navettes ne s’éloignent plus assez de la Terre pour permettre de la photographier dans sa totalité. S’il suit avec intérêt l’actualité de la station spatiale internationale, notre collectionneur regrette avec nostalgie qu’elle gravite trop près de nous pour permettre à ses occupants de continuer à embrasser du regard la Terre dans son ensemble. À ses yeux, la conquête spatiale a été l’une des rares – pour ne pas dire la seule – occasions permettant à l’humanité de se retrouver autour d’un projet fédérateur. À l’heure où Mars commence à nous livrer ses premiers secrets, il craint que l’Homme ne soit plus au centre de l’exploration spatiale, désormais menée principalement par des robots [lot 187].

Quand deux puissances se télescopent
Certes, avec le recul, cette aventure humaine inouïe semble romantique. Mais il serait naïf d’oublier qu’il s’agissait d’abord, pour les États-Unis et l’URSS, de prendre l’ascendant technologique et donc politique sur le reste du monde. En l’occurrence, c’est l’URSS qui ouvre le bal en envoyant le premier homme dans l’espace puis en réalisant la première sortie extravéhiculaire de l’histoire. Trois mois plus tard, en pleine guerre froide, les États-Unis réduisent ce retard en organisant leur toute première sortie spatiale [lots 2 à 13]. Alors que n’existent que quelques photos floues et mal cadrées du russe Leonov lors de son vol, les Américains mesurent parfaitement l’intérêt de la diffusion d’images très travaillées dans la guerre de communication qu’ils mènent contre leur puissant adversaire. Le résultat esthétique apparaît parfois par hasard, au gré de missions à visées très techniques. Ainsi, à l’occasion du programme Lunar Orbiter, l’agence spatiale, conseillée par Kodak, réussit l’exploit d’installer un laboratoire photo au sein même d’une sonde en orbite. La télétransmission est réalisée en direct, donnant au cliché une puissance esthétique inattendue, résultat du passage du scanner en bandes sur les négatifs [lots 21, 26 et de 32 à 38]. Certains des outils qui nous accompagnent au quotidien sont aussi le fruit de ces recherches qui font alors travailler et vivre des centaines de milliers d’Américains à la NASA ou chez ses sous-traitants (General Electric, Boeing, McDonnell Douglas…). Apollo marque ainsi l’arrivée de l’ordinateur comme outil d’aide au calcul et à la décision, en matière d’atterrissage notamment. Songez qu’à l’époque, ils étaient bien moins puissants que nos smartphones aujourd’hui !

Le grand pas du XXe siècle ?
Pour notre collectionneur, c’est une certitude : l‘Histoire retiendra avant tout du XXe siècle qu’il fut celui des premières conquêtes spatiales et, dans un avenir très lointain, l’humanité se souviendra avec émotion des premières photographies de la Terre prises depuis l’espace [lots 40 et 52]. Cinquante ans après ces premiers voyages, les missions initiées par la NASA paraissent également emblématiques de l’accélération des techniques et des sciences durant le XXe siècle. En à peine plus de soixante ans, les parents de Neil Armstrong ont ainsi été contemporains des premiers vols en avion motorisé des frères Wright et témoins de l’exploit de leur fils marchant sur la Lune ! Et comment ne pas être ému par ce touchant clin d’œil fait par Charles Lindbergh, premier pilote à relier New-York à Paris en avion en 1927, faisant la surprise aux astronautes américains d’Apollo 8 de dîner avec eux la veille de leur départ en décembre 1968 ? Chez FauveParis, on en tremble encore…

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